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vendredi 26 septembre 2014

La madone des maquis

La madone des maquis
Autrice : Sylvie Pouliquen

Texte de présentation

Belle, ambitieuse, Clara Harkness débute une carrière diplomatique qui ne la satisfait guère. Après un grave accident de chasse lui coûtant une jambe, elle est, contre toute attente, engagée par les services secrets britanniques. Installée à Vichy puis à Lyon, officiellement reporter américaine, elle échappe à la Gestapo fin 1942 en traversant à pied les Pyrénées, mais sa détermination est sans bornes et elle revient en France en 1944. Tour à tour fermière, financière, opératrice radio et chef de commando, elle participe à l'organisation de l'insurrection des maquis français, cette fois pour le compte des services secrets américains.
Décorée de la Distinguished Service Cross en 1945, elle est l'une des plus grandes espionnes de l'histoire de l'Occupation mais restera celle que l'on a surnommée "la madone des maquis".

En complément

  • Une biographie : L'Espionne. Virginia Hall, une Américaine dans la guerre, Vincent Nouzille, éditions Fayard, 2007.
  • Un documentaire : L'Espionne qui boite, documentaire français de Robert Kechichian retraçant l'activité de Virginia Hall durant la guerre, à base d'archives et de reconstitutions avec des comédiens.




Mon avis : Bien

L'histoire
Héroïne injustement oubliée de la Seconde Guerre mondiale, Virginia Hall (1906-1982) lutta contre l'occupant allemand en France en tant qu'agent secret pour les services secrets britanniques puis américains.
C'est ce destin extraordinaire que nous raconte Sylvie Pouliquen dans ce roman librement adapté de sa vie. Librement adapté, car, ici, Virginia Hall s'appelle Clara Harkness. Brillante étudiante polyglotte, Clara se destine à la carrière diplomatique. Nommée d'abord à Varsovie puis à Izmir (Turquie), elle n'occupe toutefois que d'ennuyants postes administratifs. Et ses ambitions professionnelles sont anéanties le jour où, par mégarde, elle se tire une balle dans le pied lors d'une partie de chasse. Amputée puis équipée d'une prothèse, elle ne peut plus prétendre à une carrière diplomatique. Lasse d'occuper des postes subalternes à Venise puis à Tallinn (Estonie), elle démissionne de son emploi d'agent à la légation américaine et du service des Affaires étrangères alors que les tensions internationales sont à leur apogée.
Après l'invasion de la Pologne par l'armée allemande, la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939. Hors de question pour Clara de rester inactive : d'abord conductrice d'ambulance en France, elle est ensuite recrutée en 1941 par le SOE (Special Operations Executive = Service des Opérations Spéciales), service créé par Churchill pour soutenir les mouvements de résistance en Europe. Envoyée en France comme journaliste du New York Post, elle agit tout d'abord comme agent de renseignements à Vichy puis est chargée de constituer à Lyon une plate-forme stratégique et d'établir des contacts fiables pour les agents britanniques. Son courage, son énergie et sa poigne lui permettent de remplir avec succès sa mission, mais l'étau se resserre autour d'elle. Infiltré par un agent double dénommé Bishop, son réseau est démantelé en 1942, Clara échappe de justesse aux hommes de Klaus Barbie et parvient à gagner l'Angleterre via l'Espagne.
Le SOE refusant de la renvoyer en France, Clara rejoint en 1944 l'OSS (Office of Strategic Services = Bureau des Services Stratégiques) qui l'envoie de nouveau en mission en France. Opératrice radio dans la Creuse, puis dans le Cher, la Nièvre et enfin dans le maquis du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), elle fournit des informations précieuses sur l'ennemi, cartographie les zones aptes au largage de matériel, coordonne des parachutages d'armes et de munitions, noue des contacts avec des résistants locaux, aménage des caches pour les hommes parachutés par l'OSS, supervise des opérations de sabotage et de guérilla... Toutes ces actions permettent de ralentir les mouvements des troupes ennemies après les débarquements de Normandie et de Provence.
Sa mission une fois accomplie, elle gagne Paris où l'OSS lui demande de se rendre en Autriche pour soutenir la résistance antinazie, avec Fabrice Dejean, qu'elle a connu au Chambon-sur-Lignon. Mais Hitler se suicide le 30 avril 1945… la guerre est finie. Avant de repartir aux États-Unis, elle parcourt la France avec son futur mari, Fabrice Dejean, en quête de nouvelles de ses anciens camarades : tortures, exécutions, déportations... peu s'en sont sortis et tous sont marqués à vie...
Décorée par le chef de l'OSS de la Distinguished Service Cross en reconnaissance des services rendus au pays durant la Seconde Guerre mondiale, elle se marie avec Fabrice Dejean et intègre la CIA qu'elle ne quittera qu'à l'âge de la retraite après d'innombrables missions.

Une femme exceptionnelle
À travers le récit du parcours pour le moins extraordinaire de Clara, mené en mode narrateur omniscient, nous donnant ainsi accès à ses pensées et à ses sentiments, Sylvie Pouliquen nous dépeint une femme hors du commun, courageuse, tenace, téméraire, qui a mené des missions extrêmement dangereuses malgré son handicap. En menant son récit au présent de l'indicatif, Sylvie Pouliquen nous fait vivre tous les événements en temps réel aux côtés de Clara, la "Madone des maquis". Suivant son rythme pour le moins soutenu, nous tremblons à chaque page, craignant son arrestation ou que sa prothèse la lâche. Mais elle semble invincible. Risquant sa vie pour un pays qui n'est pas le sien – son combat n'en devient que plus exemplaire –, elle n'a pas hésité à mettre entre parenthèses sa vie de femme et sa vie de famille durant toutes ces années de guerre, n'ayant pas le temps de penser à elle-même : "Elle a du mal à voir clair dans ses sentiments. La guerre l'a empêchée durant de longues années de penser à elle-même, de se poser des questions sur sa vie, son avenir" (page 260). Dotée d'une grande faculté d'adaptation et de résilience, cette femme forte, humble et très discrète parvient à se reconstruire après la guerre, se marie et intègre la CIA, mais jamais elle ne parlera de son passé d'espionne. Mais avant cela, elle parcourt la France en quête de nouvelles de ses anciens camarades et, sans aucun pathos ni effet de manches, l'auteur évoque sobrement le destin de chacun. C'est à partir de ce moment que Clara peut enfin fendre l'armure et ressentir de nouveau des émotions, joie, tristesse, abattement...
Mais pourquoi, alors que ce roman retrace la vie de Virginia Hall, avoir tenu à rendre cette histoire "anonyme" ? D'autant que d'autres personnages du roman, personnages historiques eux aussi, gardent leur identité réelle : Churchill, de Gaulle, Pétain, Gabrielle Picabia, le père Bishop... L'explication pourrait être la suivante : l'auteur indique au début de son roman qu'elle a souhaité rendre hommage "à toutes les femmes, françaises et étrangères francophiles, qui ont œuvré en France pour la résistance à l'occupant, ces fameuses « Maries de France aux cent visages » d'Aragon". Ce parti pris consistant à s'inspirer de la vie réelle d'un personnage historique mais en le rendant anonyme m'a dérangée, je l'avoue, car l'auteur suit parfaitement la chronologie de la vie de Virginia Hall. Certes, elle lui a attribué des pensées ou des sentiments que nous ne pourrons jamais authentifier, mais c'est là tout l'intérêt du roman historique. Je pense que si l'auteur avait conservé l'identité de Virginia Hall et que la couverture avait mentionné que ce roman s'inspirait de sa vie, il aurait pris une tout autre dimension. La couverture constitue d'ailleurs un second élément troublant : la photo représente une élégante jeune femme parée de bijoux et revêtue d'une étole de fourrure alors que ce roman raconte non pas les mondanités d'un agent secret durant la Seconde Guerre mondiale mais sa vie sur le terrain, les dangers encourus, les risques pris... Dommage qu'il m'ait fallu lire les premières pages pour comprendre tout l'intérêt et la richesse de ce roman.

Au coeur de la Résistance
Ce roman nous permet de découvrir en parallèle l'univers de la Résistance et d'approcher au plus près de sa réalité : loin d'être un mouvement unifié, la Résistance est constituée de différents réseaux, parfois antagonistes (gaullistes, communistes...), en tout cas souvent en rivalité. D'où la méfiance des États-Unis à l'égard de ces mouvements un peu trop indisciplinés et sa volonté d'instaurer l'AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories, c'est-à-dire un gouvernement militaire chargé d'administrer les territoires libérés) lorsque la guerre sera terminée.
Malgré les risques encourus – dénonciation, arrestation, torture, prison, déportation –, des milliers d'anonymes n'hésitent pourtant pas à lutter contre l'occupant allemand par tous les moyens possibles, par des actes de sabotages, en cachant des agents secrets ou des Juifs, en transmettant des messages codés… Le docteur Jean Mallet, Lucile Romans, tenancière d'une maison close, les Jumeaux, Sylvain, le chimiste, Pierre, Justin, Gabrielle Picabia sont quelques-uns de ces personnages qui ont oeuvré aux côtés de Clara pour sauver la France et l'on ne peut qu'être ému à la lecture du rapport rédigé par Clara qui sollicite auprès de l'OSS qu'une attention particulière soit portée à tous ces gens qui se sont sacrifiés et qui ont enduré de grandes souffrances.

En ressuscitant pour nous Virginia Hall, cette héroïne aujourd'hui oubliée qui a tant fait pour la France, Sylvie Pouliguen rend également ici un vibrant hommage à tous ces anonymes qui se sont sacrifiés pour sauver la France et dont on parle si peu, qu'on a oubliés...

http://www.deboree.com/

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : De Borée
Collection : Terres de femmes
Date de parution : septembre 2014
Couverture : brochée
Format : 16 cm x 24 cm
Pagination : 288 pages
ISBN : 978-2-8129-1223-8

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